Rétrospective Raoul Peck
Déconstruire pour réécrire
Né en Haïti en 1953, Raoul Peck fuit la dictature de Duvalier avec ses parents pour s’installer au Congo, nouvellement indépendant. Forcé à l’exil en raison des épisodes de violence, il est scolarisé à Brooklyn, puis chez les Jésuites à Orléans. Après une formation d’ingénieur, il se tourne vers la photographie et le cinéma, étudiant dans le Berlin des années 1970, qui accueille les mouvements de libération issus du Tiers-monde et les acteur·rice·s de la lutte anti-apartheid.
Au cours des quarante dernières années, Raoul Peck a composé une œuvre complexe entremêlant fiction et documentaire – ce dernier genre y étant dominant – habitée par des grandes figures qui incarnent les luttes émancipatrices, et critiquant la domination culturelle d’une vision européo- centrée de l’Histoire. I Am Not Your Negro (2016, nommé aux Oscars) en est un exemple frappant. A travers les mots et les écrits inachevés de James Baldwin – portés par la voix off de l’acteur Samuel L. Jackson – Peck recompose un récit percutant sur le racisme systémique aux États-Unis, mêlant archives historiques, extraits de films hollywoodiens, commentaires contemporains et images poignantes de violences policières et de manifestations modernes.
Passeur infatigable de récits, Raoul Peck interroge les liens du capitalisme avec sa propre histoire, hantée par les fantômes de la colonisation. A l’instar de James Baldwin, le cinéaste a souvent brossé le portrait d’hommes politiques ou de lettres mettant en lumière ce que l’histoire avait laissé dans l’ombre, tels Patrice Lumumba (à travers une fiction et un documentaire) et plus récemment avec Ernest Cole: Lost and Found (2024), son dernier film primé au Festival de Cannes. Refusant la neutralité, le travail de Raoul Peck renouvelle l’approche du cinéma militant qu’il transfigure dans un langage cinématographique poétique et éminemment subjectif. La genèse de ses récits procède tout autant d’une expérience personnelle multiculturelle et de ce qu’il appelle une «lecture marxienne» de la marche du monde – il livre d’ailleurs en 2017 Le Jeune Karl Marx, qui retrace la rencontre entre Marx et Friedrich Engels.
Ses fictions explorent des thèmes similaires à travers d’autres formes narratives, où l’intensité dramatique prend encore davantage le pas sur une exploration plus directe. L’Homme sur les quais (1993), premier film haïtien sélectionné à Cannes, est ainsi une plongée dans les traumatismes de la dictature duvaliériste racontée à hauteur d’enfant, un choix narratif où l’intime se fait le miroir du politique. De manière similaire, le décalé et profondément politique Moloch Tropical (2009) – inspiré du Moloch de Sokourov – évoque le tyran haïtien tout en l’inscrivant dans la lignée des présidents malades de pouvoir, parfois très contemporains, à travers des images et anachronismes audacieux.
«Oui, tout est lié, voyez-vous. C’est bien la même histoire. Il n’y en a qu’une seule, malheureusement contée par ceux qui en sont sortis riches. Plus rarement racontée du point de vue de ceux qui en ont payé le prix» (Raoul Peck, J’étouffe, Paris, Editions Denoël, 2020).
Les autres films de la rétrospective
Les films de Raoul Peck sont marqués par une critiques des systèmes de domination, qu'ils soient culturels, économiques ou sociaux; ils témoignent aussi des souffrances de la discrimination et des luttes d'émancipation. La Cinémathèque suisse propose un parcours au sein de ces thématiques fortes avec des fictions et des documentaires allant de 1987, avec Haitian Corner où une victime de torture nourrit un désir de vengeance, à 2017, année où le documentaire I Am Not Your Negro, basé sur des écrits de James Baldwin, est nommé aux Oscars.