Rétrospective Kathryn Bigelow
Kathryn Bigelow, pionnière post-moderne
Pour Kathryn Bigelow, «un film doit plaire, séduire, mais aussi avoir du sens, soulever des questions profondes». Artiste populaire et avant-gardiste à la fois, Bigelow pousse à l’extrême les limites des genres cinématographiques traditionnellement «masculins» – films d’action, de guerre, d'horreur, westerns, thrillers et joue avec leurs stéréotypes en les exploitant et en les redéfinissant.
Après des débuts dans un cinéma plus «arty», elle évolue vers un cinéma mainstream, puis plus directement politique (Zero Dark Thirty, Detroit). Amatrice de films de série B, elle réinvente les films de bikers (The Loveless), de vampires (Near Dark), de surf (Point Break). Avec Blue Steel, elle adopte les codes des films policiers et inverse les conventions typiques du genre en plaçant une protagoniste féminine au centre du film.
Dans un paradoxe délibéré et assumé entre cinéma populaire et cinéma d’auteur, derrière des intrigues en apparence conventionnelles, la cinéaste transforme et hybride les langages et les structures narratives classiques. Elle étudie les dynamiques d’un univers davantage masculin, irrémédiablement marqué par une logique de compétition, de pouvoir, de domination et de sacrifice (Point Break; K-19: The Widowmaker; The Hurt Locker). Très influencée par Sam Peckinpah, Bigelow présente souvent (à Locarno en 1997 notamment) La Horde sauvage (1969) comme la clé de son œuvre marquée par la violence, élément essentiel de ses films.
Née en 1951 en Californie, Bigelow se forme aux Beaux-Arts à San Francisco et intègre le collectif d’artistes conceptuels Art & Language lors de ses études de cinéma à New York. Artiste peintre et plasticienne d’abord, elle affiche dans son œuvre une dimension esthétique qui est un territoire d’expérimentations avec une approche visuelle immersive puissante: tous les éléments visuels et sonores amplifient la tension narrative et le caractère des personnages. Bigelow travaille constamment sur les schémas narratifs et les moyens de les représenter. Elle décompose et fusionne forme et contenu en proposant un parcours critique et spectaculaire de l’imaginaire iconographique américain.
Souvent étiquetée comme la guerrière d’Hollywood au cinéma testostéroné et viril, avant tout définie en tant que «ex» de James Cameron et première femme cinéaste à avoir gagné l’Oscar pour la meilleure réalisation (avec un film de guerre), Bigelow se heurte et se bat contre toute catégorisation sexiste: «Je ne crois pas trop au concept de film féminin ou masculin. Pour moi, il y a avant tout des cinéastes. (...) Par ailleurs, considérer les films d’action comme masculins et les films intimistes comme féminins, c’est peut-être un cliché qu’il faut battre en brèche et j’y travaille...»
En déstabilisant et défiant le système hollywoodien de l’intérieur, Kathryn Bigelow interroge le genre (cinématographique et identitaire), notre rapport au monde, à la condition humaine et ses dilemmes moraux, et redessine les frontières éthiques comme physiques du cinéma.
Documentaire sur Kathryn Bigelow
Pour accompagner la rétrospective consacrée à Kathryn Bigelow, la Cinémathèque suisse présente un documentaire sur l’œuvre de l’une des cinéastes les plus percutantes d’Hollywood, qui n'a de cesse d’ausculter la brutalité de la société américaine comme la violence masculine. Contournant l’impossibilité de rencontrer la réalisatrice, Michèle Dominici est partie à la recherche de celles et ceux qui l'ont côtoyée sur les tournages et dans la vie, depuis The Set-Up (1978), son premier court, à Detroit (2017), son dernier film en date.