Le sacre du maître
Inaugurée en décembre denier, la rétrospective consacrée à la période anglaise d’Alfred Hitchcock et ses premières œuvres hollywoodiennes se poursuit au mois de janvier avec les incontournables de sa période américaine jusqu’à Family Plot (1976), témoin crépusculaire de la fin de son prodigieux règne hollywoodien, en passant par l’épatant Frenzy (1972), premier film qu’il tourne à Londres depuis son départ.
Tout au long de sa carrière en Angleterre, le cinéaste a peaufiné un style incomparable et une approche quasi mathématique de la mise en scène. Aucun détail n’est jamais laissé au hasard : qu’il s’agisse d’un motif visuel, d’un costume, d’une durée ou d’un cadre, chaque composante de la réalisation est sous son contrôle. Les acteurs eux-mêmes ne servent qu’à révéler, à travers un regard ou un geste, des éléments clés de l’intrigue. Hitchcock ira même jusqu’à les qualifier de « bétail », un terme violent qui détonne par rapport aux psychologies fouillées de ses personnages. Les dialogues, quant à eux, sont réduits à l’essentiel tant la mise en scène est précise. Rappelons qu’Hitchcock a débuté sa carrière lorsque le cinéma était muet et que les histoires n'avaient pas besoin de mots pour être racontées.
Révélé aux Américains avec Rebecca en 1940, Hitchcock confirme, durant cette décennie et la suivante, les espoirs placés en lui avec des œuvres aussi marquantes que Notorious, Dial M for Murder, Rear Window et Vertigo. Dans les années 1950 en France, un jeune critique nommé François Truffaut se met à analyser le cinéma américain sous un angle inédit, en ne tenant plus compte des films indépendamment les uns des autres, mais en s’intéressant à l’ensemble de l’œuvre d’un cinéaste. Avec ses camarades des Cahiers du cinéma, il établit une liste de réalisateurs américains qui « écrivent avec leur caméra ». La politique des auteurs est née et, selon elle, le plus mauvais film d’Hitchcock sera toujours plus intéressant que le meilleur film d’un non-auteur. Alors que le maître du suspense divertit des milliers d’Américains avec North by Northwest, Truffaut contribue à construire sa légende en Europe et lui propose un entretien durant plusieurs jours qui débouche sur la publication d’un ouvrage de référence. Intemporel et incontournable, le Hitchbook révèle tous les secrets de la mise en scène selon Hitchcock et a inspiré Hitchcock/Truffaut, le passionnant documentaire de Kent Jones, également diffusé dans le cadre de cette rétrospective.
En 1960, une campagne marketing hors du commun précède la sortie de Psycho. Adapté d’un roman de Robert Bloch, ce film d’horreur à petit budget, dont aucun producteur ne veut, est entièrement financé par Hitchcock et sa femme Alma Reville. Le tournage est éprouvant, la production ne cesse de vaciller, sept jours sont nécessaires pour filmer la fameuse scène de la douche, le sujet, inspiré du tueur en série Ed Gein, est sinistre à souhait et Alma doit remplacer au pied levé son époux souffrant pour respecter le planning. La suite est plus réjouissante. A sa sortie, le film connaît un triomphe et son impact sur le cinéma de genre est, aujourd’hui encore, inestimable. Néanmoins, Hitchcock se remet en question et se demande s’il n’est pas devenu un simple amuseur de foule. Réalisés dans les années qui suivirent, The Birds et Marnie prouveront tout le contraire…
Raphaëlle Pralong