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Rétrospective Alain Tanner

Cinémathèque suisse

01.03.2025 - 29.04.2025

Rétrospective Alain Tanner

Alain Tanner, toujours jeune

En 1955, le jeune étudiant genevois cinéphile (et animateur du ciné-club de l’Uni) Alain Tanner file à Londres avec son compère Claude Goretta pour travailler au British Film Institute et s’approcher du bouillonnement du Free Cinema. Ils y tournent le court métrage Nice Time (Picadilly la nuit, 1957) qui leur vaut un prix à Venise.

A leur retour à Genève, à la Télévision suisse romande, ils retrouvent Michel Soutter et, petit à petit, signent de saisissants reportages en Suisse et à l’étranger qui vont être autant de points de départ de scénarios de fictions futures. Le premier long métrage d'Alain Tanner, le documentaire Les Apprentis (1964), montre déjà le souci du jeune cinéaste de raconter une société en mutation et une jeunesse qui s'interroge sur son avenir. En 1968 il est à Paris, filmant pour la TSR les événements de mai. Et il est assez évident que le chef d’entreprise qui coupe les ponts avec sa vie de patron dans Charles mort ou vif (1969), son premier long métrage de fiction, naît sans doute de la rébellion en cours.

Mais dans le film apparaît déjà une certaine distance réflexive qui se reflète à la perfection dans La Salamandre (1971) où le personnage rebelle et si libre de Rosemonde (Bulle Ogier) devient sujet d’analyse pour Jean-Luc Bideau et Jacques Denis.

Tous les premiers films de Tanner vont dessiner une carte du mal-être de la société occidentale capitaliste des années 1960 et 1970, qui culmine dans Jonas qui aura 25 ans en l’an 2000 (1976), film emblème, plein de désillusions et d’espoirs, qui marquera le public (et de très nombreux cinéastes) de par le monde.

Ensuite, un film charnière: Messidor (1978), sorte de Thelma et Louise version helvétique, raconte la cavale désespérée de deux jeunes femmes qui pourtant ne vont jamais aller au-delà des Alpes. Littéralement, elles tournent en rond dans ce pays, jusqu’à s’y faire p(r)endre. Comme l’aveu du cinéaste qui a besoin de changer d’air, d'aller voir ailleurs...

C’est d’ailleurs ce qu’il fait; il signe ensuite deux films radicalement différents des précédents: en Irlande d’abord, avec Light Years Away (Les Années lumière, 1981), une fable qui rappelle le mythe d’Icare, puis à Lisbonne avec le plus intime et contemplatif Dans la ville blanche (1983) où le marin Bruno Ganz filme la ville et ses paysages en Super 8. Ecrivain de bord dans la marine marchande quand il avait 23 ans, Tanner a toujours aimé la mer, ce qui est évident dans son magnifique documentaire sur les dockers de Gênes, Les Hommes du port (1994).

Après cet appel d’air, Alain Tanner revient en Suisse... Il aborde alors d’autres sujets, comme l’immigration, la sexualité, l’âge, sans oublier cet écho étonnant au premier Jonas, Jonas et Lila, à demain (1999), qui reflète les changements du temps. Et dans son dernier film, Paul s’en va (2004), avec de jeunes acteurs, il affirme son credo de cinéaste: «La lutte des générations, cela n’existe pas. Ce que j’ai voulu exprimer, c’était au contraire une vraie relation au travers du passage de témoin, de la transmission d’un certain savoir». Voici pourquoi son œuvre s’avère toujours aussi moderne et pertinente.

L’Association Alain Tanner

Créée en octobre 2017, l’Association Alain Tanner a pour objectif la numérisation de l’ensemble des 20 longs métrages du cinéaste afin de leur donner une nouvelle visibilité. Regroupant des personnalités telles que Bernard Comment (écrivain), Christine Ferrier (ancienne productrice), Bernard Laurent (administrateur culturel), Virginie Legros-Guignard (responsable en communication ), Pierre Maillard (cinéaste), Marcel Müller (collaborateur de Swiss Films), Giovanni Piscitelli (comptable), Gérard Ruey (ancien producteur), Hugues Ryffel (chef opérateur), Nathalie Tanner (maquilleuse et administratrice de Filmograph), l’Association a bénéficié du soutien financier de la Loterie Romande, de la RTS, de la Ville et du Canton de Genève, d’une importante fondation genevoise et de la SSA. C’est ainsi qu’elle a pu, en étroite collaboration avec la Cinémathèque suisse et l’Association Filmo, numériser à ce jour l’ensemble des films. Aujourd’hui l’association œuvre à valoriser ces films restaurés aux standards les plus élevés et dans le respect des œuvres originales, en les distribuant internationalement via des plateformes digitales, des festivals ou des événements spécifiques. Pour accomplir cette tâche, elle a pu compter sur la participation des chefs opérateurs de l’époque et des laboratoires les plus compétents tels que L’immagine Ritrovata (Bologne), Colorgrade ou Masé (Genève), sans oublier la Cinémathèque suisse.

Le scénario chez Alain Tanner – un projet de recherche

En octobre 2025 s’achèvera un projet de recherche consacré aux films d’Alain Tanner dans le cadre de la Collaboration UNIL + Cinémathèque suisse et soutenu par le Fonds national de la recherche scientifique (FNS). Jeanne Modoux et Vincent Annen réalisent dans ce cadre une thèse de doctorat sous la direction du professeur Alain Boillat de la Section d’histoire et esthétique du cinéma de l’UNIL. Au cours de cette recherche collective basée sur l’étude de la genèse des films de Tanner à partir du fonds déposé par le cinéaste à la Cinémathèque suisse, plusieurs publications ont vu le jour, dont deux ouvrages, Alain Tanner, 50 ans de cinéma suisse en 2023 et Revoir Tanner (TV/Cinéma): questions d’espace, rapports de genre en 2024. La filmographie, la démarche et les propos du réalisateur ont été examinés sous l’angle de l’écriture scénaristique en duo (respectivement avec John Berger, Myriam Mézières et Bernard Comment), de la construction d’une œuvre d’auteur cohérente au sein de laquelle plusieurs films font explicitement écho à d’autres et de la représentation des rapports entre hommes et femmes dans une société souvent dépeinte comme misogyne et patriarcale.

Les autres films de la rétrospective

Cette large rétrospective des œuvres du cinéaste genevois Alain Tanner proposée par la Cinémathèque suisse comprend des longs métrages de fiction, des documentaires et un court, dont la plupart sont projetés en version restaurée. Afin de donner un éclairage historique et contextuel, certaines séances sont présentées par Jeanne Modoux, Vincent Annen ou Alain Boillat, chercheuse et chercheurs au sein du projet du recherche de l'UNIL Le scénario chez Alain Tanner, et qui ont notamment rédigé les descriptifs de l'ensemble de la rétrospective.

Tanner par Cuarón

Grand amateur de l’œuvre d’Alain Tanner, le cinéaste mexicain Alfonso Cuarón, a présenté Jonas qui aura 25 ans en l’an 2000 au dernier Festival de Locarno, projection précédée d’une discussion avec Frédéric Maire, directeur de la Cinémathèque suisse. Il est revenu sur l’influence d'Alain Tanner sur son œuvre, sa cinéphilie et sa vie, lui qui a prénommé son premier fils... Jonas.

«Alain Tanner fait partie de ces cinéastes extraordinaires qui ont presque disparu de la conscience des cinéphiles. J'espère qu'avec la nouvelle restauration de Jonas qui aura 25 ans en l'an 2000, les gens prendront conscience de la beauté de ses films. (...) La complexité des personnages de ses films est immense. Tout tourne autour des contradictions des gens, de la façon dont ils disent une chose et agissent d'une autre manière. Cette contradiction entre l'égoïsme de chaque personnage et leurs tentatives de créer une société idéale est magnifique. J'aime le pessimisme presque éclairé qui se dégage de tout cela. C’est très intéressant de voir ce que Tanner fait avec chaque plan. Ce film en particulier semble faussement simple, mais vous pouvez voir que chaque plan est en fait très élaboré. Il y a beaucoup d'humour dans ce film, mais aussi beaucoup de déception. Je trouve que c'est un regard étonnant sur l'humanité, et aussi sur notre société en général» (Alfonso Cuarón).