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La Quinzaine des Cinéastes 2023 à Lausanne

La Quinzaine des Cinéastes 2023 à Lausanne
Cinémathèque suisse

19.09.2023 - 29.10.2023

La Quinzaine des Cinéastes 2023 à Lausanne

En avant, jeunesse!

Sélection parallèle du Festival de Cannes, la Quinzaine des Réalisateurs est devenue, pour sa 55e édition, la Quinzaine des Cinéastes. Chantre de l’audace, la Quinzaine cultive un rôle d’explorateur pour défricher les nouvelles écritures cinématographiques et promeut des œuvres libres sans hiérarchie de genre. Les 19 films de la sélection 2023 partagent un même esprit buissonnier: ils s’aventurent dans des chemins de traverse, défient le formatage, se jouent des formes et des structures narratives traditionnelles.

Suivons le lapin blanc pour entrer dans cette édition, sur les pas de Lilian, la nouvelle Alice au pays des merveilles de The Sweet East de l’Américain Sean Price Williams, miniature déglinguée de l’Amérique contemporaine qui fait se côtoyer néo-nazis et groupuscule islamiste dans un conte acide.

L’Espagnole Elena Martin Gimeno signe le très freudien Creatura, ou comment une crise de couple conduit une femme à interroger les pulsions et inhibitions qui l’affectent depuis l’enfance. L’Américaine Joanna Arnow emprunte les voies du BDSM dans The Feeling that the time for doing something has passed, une comédie pince-sans-rire dans laquelle une trentenaire désabusée s’épanouit dans des jeux de soumission sexuelle, tandis qu’elle essuie des humiliations quotidiennes au travail et en famille.

Légua des Portugais Filipa Reis et Joao Miller Guerra investit une grande demeure aristocratique que des domestiques entretiennent avec amour: les gestes de la vie quotidienne et du travail y sont chargés d’un désir crépusculaire. Le Français Pierre Creton met en scène le romanesque Un prince, en rase campagne, au milieu des herbes et des fleurs, comme si de l’humus normand naissait l’attirance charnelle entre paysans. Blackbird Blackbird Blackberry d’Elene Naveriani dessine le portrait d’une femme géorgienne qui découvre l’amour à 50 ans dans une ode au plaisir et à la beauté. La Chinoise Zihan Geng nous chante une Song Sung Blue, chronique solaire et nostalgique d’un été adolescent, mélodie d’adieu à l’enfance d’où surgit l’éveil des sens.

L’Inde et le Pakistan nous adressent Agra de Kanu Behl et In Flames de Zarrar Kahn, deux films symptomatiques de sociétés patriarcales étouffantes. Le premier est une comédie cauchemardesque qui suit les déboires d’un jeune frustré sexuel en lutte avec sa famille pour conquérir un espace de vie. Hallucinations d’une jeune femme, dans le second, en proie au pouvoir écrasant des hommes ou comment une simple romance mute soudain en film d’horreur et d’épouvante. Le conflit entre les générations se niche également au cœur de Grace du Russe
Ilya Povolotsky, un road-movie wendersien endeuillé et un récit d’apprentissage sur fond d’exil nécessaire. Mambar Pierrette, de la Belgo-camerounaise Rosine Mbakam, affronte vaillamment et sans l’aide des hommes un quotidien où chaque jour est une nouvelle épreuve.

Subversion et renouvellement des genres à la Quinzaine cette année. Le Belge Claude Schmitz propose un faux polar avec L’Autre Laurens, mais un vrai film méta sur les ruines d’un cinéma américain patriarcal dépassé. Riddle of Fire de l’Américain Weston Razooli réenchante le conte de fées et le film d’aventures pour enfants dans un jeu de pistes aux dialogues «tarantiniens». Les montagnes marocaines forment le décor de la tragi-comédie burlesque Déserts de Faouzi Bensaidi qui, à mi-chemin, bifurque vers le western. Le Français Cédric Kahn revisite le film de procès au cordeau avec Le Procès Goldman, reconstitution minutieuse d’une joute rhétorique dans une affaire qui charrie racisme et bavures policières.

La créativité fut également au service des puissances de l’imaginaire chez deux cinéastes français, Michel Gondry et Bertrand Mandico. Portrait de l’artiste en enfant-roi capricieux, Le Livre des solutions est une autofiction qui fait du bricolage le remède à la folie maniaco-dépressive de son auteur. Temple baroque et gothique de la décadence, Conann signe un pacte faustien féminin à l’encre de la rage pour affronter la peur de vieillir dans un charivari visuel stylisé. La religion de l’art est aussi celle du catholique L'Arbre aux papillons d'or de Thien An Pham (lauréat de la Caméra d’or), un voyage spirituel dans la campagne vietnamienne qui prend l’allure d’une immersion sensorielle et plastique.

De nos jours est le nouveau film du coréen Hong Sang-soo, un retour à l’instant présent en compagnie d’un chat, d’un repas, d’une bouteille
de whisky et d’un paquet de cigarettes. Très bonne Quinzaine à vous!

Julien Rejl, délégué général de la Quinzaine des Cinéastes