Rétrospective Daniel Schmid
Daniel Schmid en magicien
J’emprunte le titre de ce texte à Freddy Buache qui avait consacré un magnifique ouvrage au cinéaste suisse, Portrait de Daniel Schmid en magicien aux éditions de L'Age d'Homme (1975), dans lequel ce dernier présentait son film The Written Face comme étant l’un de ses préférés et peut-être l’un des plus emblématiques de son œuvre. Tourné en 1994 au Japon, ce merveilleux «documentaire» autour de Bandō Tamasaburō – acteur du théâtre Kabuki qui interprète des personnages féminins – interroge la question de l’interprétation d’un rôle et de la représentation, et réinvente un nouveau monde que l’on peut qualifier de magique. La même interrogation parcourt, dix ans plus tôt, le portrait que Schmid fait de la «Casa Verdi» à Milan dans Il bacio di Tosca (1984), cette maison de retraite pour artistes qui «vivent tous dans une dimension fictive où personne ne sait plus ce qui est vrai» (Buache). Et c’est encore cette question qui traverse La Paloma (1974), ce «chant du désir et de la mort», cette «machine à faire rêver» dont la surcharge esthétique atteint une puissance du faux bouleversante – comme une ultime protestation adressée à un cinéma redevenu trop réaliste pour être honnête. Le magicien Schmid a toujours fait confiance à «la force de l’imagination» (comme le dit un carton de La Paloma), y compris dans sa satire la plus «politique», Beresina oder Die letzten Tage der Schweiz (1999), où une immigrée russe devient la première Reine de notre pays.
Né à Flims, dans les Grisons, en 1941, il a vécu son enfance dans le grand hôtel familial, véritable théâtre de l’humanité où se croise le monde entier. Dans un film partiellement autobiographique, Hors saison (1992), il évoque cette existence nourrie de l’observation de ce microcosme et des nombreux personnages qui y circulent. Son grand père y avait par exemple connu Sarah Bernhardt, incarnée dans le film par la comédienne espagnole Marisa Paredes (qui sera présente à la Cinémathèque suisse). Et c’est dans ce même hôtel qu’il tourne son premier long métrage, Heute Nacht oder nie (1972), une œuvre hypnotique où, le temps d’une nuit, «les maîtres servent à table leurs domestiques et leur offrent de petits spectacles au sein d’une riche demeure intemporelle (...), qui apparente les personnages à des morts- vivants ou à des fantômes plongés dans l’espace du rêve» (Pierre Eugène).
A Berlin où il s’installe à l’âge de 18 ans et étudie, notamment à l’Académie du cinéma et de la télévision, il se lie d’une amitié profonde avec la nouvelle vague du cinéma allemand, et particulièrement les cinéastes Werner Schröter et Rainer Werner Fassbinder, ainsi qu’avec la comédienne Ingrid Caven. Schmid joue aussi dans certains films de ses amis, tout comme il co-écrit avec eux ou adapte une pièce de Fassbinder à l’écran dans Schatten der Engel (1976) où Fassbinder et Ingrid Caven tiennent les deux rôles principaux.
A partir de Violanta (1977), Schmid alterne des mises en scène d’opéras et des films très différents, et collectionne les sélections dans les grands festivals (Cannes, Venise, Berlin, etc.). Le 5 décembre 2005, il entame le tournage de Portovero, co-écrit par Barry Gifford, avec Eduardo Noriega, Marisa Paredes et Catherine Walker. Le tournage s’interrompt quelques jours après. Daniel Schmid est retombé malade. Il s’éteint finalement le 6 août 2006, au début du Festival de Locarno, où il était un habitué et avait reçu, en 1999, le Léopard d’honneur. Le magicien avait 64 ans.
Les autres films de l’intégrale
Daniel Schmid est à l’origine de nombreux films de fiction, diffusés en salle ou à la télévision entre les années 1970 et 1990. Le cinéaste grison s’est illustré dans le cadre de projets variés, ne trahissant jamais son goût pour l’art dramatique et le lyrisme, à son apogée dans son incontournable La Paloma. L’intégralité de son œuvre est à découvrir dans nos salles, de ses premiers longs métrages éminemment politiques (Heute Nacht oder nie) à la satire des mœurs helvétiques qui clôture sa carrière (Beresina), en passant par ses collaborations inoubliables avec Rainer Werner Fassbinder (Schatten der Engel) ou Bulle Ogier (Notre-Dame de la Croisette).
Documentaire sur Daniel Schmid
En marge de la projection de l’intégrale des films de Daniel Schmid, un docu- mentaire de Benny Jaberg et Pascal Hofmann consacré à la vie et à l’œuvre du cinéaste helvétique est présenté à la Cinémathèque suisse. Un portrait qui donne la parole à plusieurs proches du cinéaste tout en mobilisant des séquences emblématiques de ses longs métrages. Il constitue également une occasion unique de plonger dans son imaginaire foisonnant et son parcours unique, de son enfance dans les Alpes à ses années parisiennes, en passant par sa rencontre avec Rainer Werner Fassbinder.