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Intégrale Gus Van Sant

Intégrale Gus Van Sant
Cinémathèque suisse

25.10.2017 - 21.12.2017

Intégrale Gus Van Sant (du 1er novembre au 21 décembre) – la Cinémathèque suisse a l'honneur de dérouler toute l'oeuvre du réalisateur et artiste américain.
Gus Van Sant / Icônes

Le cinéma de Gus Van Sant est la plaque sensible de ce temps de l'Histoire américaine « postmoderne » (post-Pop, post-Nouvel Hollywood, postmilitantisme). Tête de proue du renouveau du cinéma outre-Atlantique dit « indépendant », que le public suisse découvre en 1990 avec la sortie en salles de Drugstore Cowboy, il est l'instigateur et le défenseur, en secret, en douceur, d'une liberté artistique qui irradie depuis les marges. Sans étendard et sans manifeste. Pris un à un, indépendamment, les films de Gus Van Sant suscitent l'étonnement. Leurs structures narratives complexes (en forme de mosaïques ou de collages), de même que leurs changements de tonalité, déroutent le spectateur : un cinéma dissonant où la mélancolie et l'humour ne sont jamais pensés en opposition. Pris ensemble comme un tout, ses seize longs métrages, par leur extrême diversité, créent une profonde sidération. Comme si, film après film, Van Sant réinventait sans cesse tout son cinéma. On se demande alors si c'est le même metteur en scène qui a arrêté le temps du massacre d'Elephant (inspiré de Columbine) et accéléré la vie du militant gay Harvey Milk. Si c'est le même metteur en scène qui a filmé la jeunesse avec gravité (Elephant, Paranoid Park) et les Pères de la Beat Generation comme des enfants terribles. Fils assumé de ce mouvement poétique contestataire, Van Sant en a gardé le goût d'un anticonformisme esthétique, où se mêlent des revendications politiques, sexuelles et spirituelles (…).

Avec sa filmographie riche et hétérogène, Gus Van Sant nous oblige à repenser ce qu'est un « auteur » de cinéma. Le metteur en scène américain aux multiples visages brouille les pistes et emmêle les fils rouges, dessinant au final un canevas aux motifs inédits. Jusqu'à tenter de s'évaporer et de s'absenter à lui-même, quand il prend le pari de tourner une copie plan par plan du mythique Psycho d'Alfred Hitchcock. Comme chez tout auteur, il y a certes des thèmes et des visages récurrents (Matt Damon en surdoué turbulent dans Good Will Hunting en 1997, en explorateur à la dérive dans Gerry en 2002, puis en employé d'une compagnie pétrolière à la recherche d'une éthique dans Promised Land en 2012). Mais surtout une capacité à repartir de zéro, à chaque étape, pour réélaborer un nouveau rêve de cinéma. A un moment donné de sa carrière, le rêve consiste à trouver un abri dans les Studios (Universal, Miramax, Columbia) pour imaginer des histoires, au sein d'une superstructure, où la hiérarchie et les règles protègent l'artisan obéissant qu'il est. A d'autres moments, au contraire, ce rêve sera la quête d'une liberté sans condition : des films expérimentaux (culminant avec Mala Noche) autoproduits avec la ferveur du débutant, et plus tard la « Tétralogie de la mort » (dans l'ordre : Gerry, Elephant, Last Days, Paranoid Park), séries d'expériences formelles radicales, qui redéfinissent avec grâce et acuité l'espace américain (le désert, le lycée, la forêt et le skate park n'ont jamais été aussi inquiétants, respectivement, depuis Raoul Walsh, David Lynch, Terrence Malick et Larry Clark) (…).

Dans les années 1980, il entreprend spontanément un travail photographique avec, en particulier, ses séries de centaines de Polaroïds. Tout se joue sur l'équilibre, au sein du cadre, entre ombres et lumières, avec une évidence désarmante. Gus Van Sant ne capture rien. Au contraire, il libère, met à égalité tous ces individus croisés au moment de préparer ses films (qu'ils soient acteurs, danseurs, auteurs, chanteurs), échantillon métonymique du peuple américain. Il n'a pas peur de la figuration, la plus directe et la plus crue. Il croit au contraire à l'apparition du corps, et assume là (comme avant lui Mapplethorpe ou Warhol, sur lequel d'ailleurs il eut le projet de faire un film) son désir homosexuel. Un désir qui, au-delà d'un formalisme théorique, part de ces signes de reconnaissance qui font la jeunesse, pour mieux les subvertir et les transformer : la grâce du regard et l'intensité unique de l'instant présent.

Dans le fond, c'est comme si chacun de ses films donnait à voir l'adolescent éternel qu'il était, lui permettait de revivre, en cinéma, des fragments de sa vie d'avant, ses rencontres originelles, sa fascination pour la peinture de Matisse (Will Hunting) ou la musique du Velvet Underground (Last Days). Il y a chez Van Sant un besoin d'images pour se raconter ou tout simplement pour être. Comme si chaque film était une réconciliation profonde avec lui-même et le rêveur qu'il est. Chez lui, le réel, fait de clairs-obscurs, d'ellipses et de décrochages poétiques, flirte irrémédiablement avec le fantastique et le funeste. Un au-delà païen. Chez Gus Van Sant, la mort déferle toujours. D'un côté, ceux qui partent  ; de l'autre, ceux qui restent et résistent. Gus Van Sant est de ceux-là : un artiste qui renaît chaque fois et incarne la part la plus humaine du cinéma américain.

Matthieu Orléan, commissaire de l'exposition à La Cinémathèque française (texte tiré du livre Gus Van Sant  / Icônes aux Editions Actes Sud, 2016).

L’exposition au Musée de l’Elysée

L’exposition « Gus Van Sant » propose une rétrospective inédite en Suisse autour des films et des œuvres plastiques du cinéaste américain. Véritable déambulation pluridisciplinaire, elle s’articule en cinq sections qui explorent la force créatrice de Gus Van Sant et dresse les contours d’un univers foisonnant et impertinent.

La section « Cinepark » offre une plongée dans le cinéma de Gus Van Sant, véritable plaque sensible de ce temps de l’Histoire américaine postmoderne. Tête de proue du renouveau du cinéma dit « indépendant », Van Sant est l’instigateur d’une liberté artistique qui irradie depuis les marges. Avec sa filmographie hétérogène, il nous oblige à repenser ce qu’est un auteur de cinéma.

La section « Photography » regroupe une sélection encore inconnue du grand public des Polaroïds réalisés par Gus Van Sant lors des castings de ses premiers films. Défilent sous son objectif des centaines d’acteurs, d’écrivains et d’anonymes. Même après avoir abandonné son Polaroïd à la fin des années 1990, le cinéaste continue la photographie, en réalisant notamment des reportages pour magazines de mode ou pour groupes de rock.

La section « Constellations » évoque quant à elle les filiations artistiques de Gus Van Sant, de l’omniprésence de sa ville d’adoption, Portland, aux figures tutélaires qui marquent son esthétique – l’influence, entre autres, de la Beat Generation et de l’écrivain américain William S. Burroughs.

La section « Music » dit l’intérêt de Van Sant pour la musique de cinéma, qu’il envisage comme un langage à part entière. On y retrouvera des B.O. spécialement conçues pour ses films, des créations musicales de Van Sant lui-même, ainsi qu’une sélection de clips qu’il a réalisés notamment pour David Bowie, les Red Hot Chili Peppers ou les Hanson.

Des peintures et des dessins, Gus Van Sant en a fait à divers moments de sa vie. Certains collages datent des années 1970, tandis que sa série de grandes aquarelles exposées à la galerie Gagosian de Los Angeles date de 2011. Réunies en dernier lieu dans la section « Painting », elles offrent un complément inattendu à l’univers artistique très éclectique de Gus Van Sant.

Matthieu Orléan, commissaire de l'exposition à La Cinémathèque française, avec la collaboration curatoriale de Lydia Dorner, conservatrice assistante au Musée de l'Elysée

Un livre aux éditions Actes Sud

A l’occasion de la rétrospective des films de Gus Van Sant et de l’exposition itinérante, La Cinémathèque française, la Cinémathèque suisse, le Musée de l’Elysée et le Museo Nazionale del Cinema de Turin ont coédité un livre publié aux éditions Actes Sud en 2016. Construit autour d’un entretien réalisé par Matthieu Orléan avec le cinéaste en juin 2015 à Portland, l’ouvrage Gus Van Sant / Icônes dessine un parcours à travers un réseau d’images organisé de façon thématique.

Il est l’occasion d’explorer les travaux d’artistes dont Gus Van Sant revendique l’héritage : héritage beat, pop, rock, ou encore expérimental de cinéastes, d’écrivains et de plasticiens, comme William S. Burroughs, William Eggleston ou encore Harmony Korine.

Cette monographie propose également des textes inédits qui fournis-sent quelques clés de lecture de cette œuvre protéiforme et la relient aux réflexions intimes, aux anecdotes de première main, ainsi qu’à un discours fouillé sur la fabrication de ses films. Si chacun des auteurs propose d’aborder l’un des aspects de la création de Gus Van Sant, tous s’attachent à nourrir leur réflexion de l’hétérogénéité de sa méthode et de sa pratique.

Gus Van Sant  / Icônes, sous la direction de Matthieu Orléan, Arles, Ed. Actes Sud, 2016, 208 pages, 200 illustrations. L’ouvrage est vendu pendant la durée de l'exposition sur la boutique en ligne et à la caisse de la Cinémathèque suisse, ainsi qu'au Musée de l'Elysée au prix préférentiel de 49 CHF (20% de rabais sur le prix ordinaire).

Les longs métrages

A la fois figure phare du cinéma américain indépendant avec des films expérimentaux, à l’instar de Mala Noche ou Gerry, et auteur de certains succès populaires hollywoodiens, tels que Good Will Hunting, Finding Forrester ou Milk, Gus Van Sant s’est essayé tout au long de sa carrière à diverses expériences formelles. On retient toutefois une récurrence de thématiques comme celle du mal-être adolescent ou de problématiques liées à la mort, à la sexualité et à la drogue (Last Days, Elephant, Paranoid Park). Une liberté artistique qui laisse s’enchevêtrer les domaines de la photographie, de la télévision, de la vidéo, du super 8 et des jeux vidéo.

Les courts métrages

Gus Van Sant a réalisé des courts métrages tout au long de sa carrière, entre ses longs métrages et parfois même pendant le tournage de ceux-ci. Il est difficile de leur trouver un dénominateur commun tant c’est pour lui le lieu d’expérimentations qui prennent la forme de fictions, de reportages, films musicaux, autoportraits, lectures de poèmes ou autres performances. Tous ces films ont été préservés et restaurés par l'Academy Film Archive avec l'autorisation de Gus Van Sant sous la supervision de Mark Toscano, et sont présentés en partenariat avec l'Academy of Motion Pictures Arts & Sciences.