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Rétrospective Fredi M. Murer

Rétrospective Fredi M. Murer
Cinémathèque suisse

1. 10. 2020. - 31. 10. 2020.

Retour sur l'oeuvre - entre fiction, documentaire et cinéma expérimental - de Fredi M. Murer

Fredi Murer, le magicien

Cinéaste, expérimentateur, dessinateur hors pair et prestidigitateur à ses heures perdues, toujours malicieux dans son regard sur le monde contemporain, Fredi M. Murer est un artiste exceptionnel dont l’origine même raconte ses œuvres, les tensions entre l’éden de la nature et la ville grise, entre Nidwald, terre de ses origines, et Zurich, sa ville d’adoption, entre la puissance de l’enfance et le désir de s’envoler, comme dans Höhenfeuer, Vollmond ou Vitus.

Dans les années 1960, ses premiers courts métrages expérimentaux, la plupart muets, vont parfois à la rencontre d’artistes qui, comme lui, recherchent une manière nouvelle d’exprimer le monde, comme le sculpteur Bernard Luginbühl. En 1968, il signe Vision of a Blind Man, film tourné par lui-même, les yeux bandés, durant toute une journée à Zurich, se fiant au son pour cadrer ses images.

L’année suivante, dans le cadre de Swissmade, film à sketches futuriste tourné par Yves Yersin, Fritz E. Maeder et lui-même, son moyen métrage de fiction 2069 – oder wo sich Futorologen und Archäologen gute Nacht sagen donne déjà une idée de sa conception visionnaire et sarcastique du futur, avec un pays entièrement contrôlé, et ce jusqu’à la vie sexuelle. Métaphore du cinéaste, un extraterrestre avec une caméra incrustée dans la tête – inventé par son ami H. R. Giger, futur créateur d’«Alien» – enregistre, «aveugle et sourd», la vie de cette société qui s’est inventé l’ordre éternel et la paix éternelle à l’écart.

Après son remarquable documentaire sur les habitants des montagnes, Wir Bergler in den Bergen sind eigentlich nicht schuld, dass wir da sind (1974), Fredi M. Murer retrouve la ville pour filmer la grise banlieue et ses habitants angoissés, dans ce qu’il appelle un «documentaire de fiction» qu’il écrit avec la collaboration de divers scénaristes (dont l’écrivain Adolf Muschg) et qu’il présente en compétition au Festival de Locarno en 1979.

Description très critique d’une Suisse urbaine déconnectée de ses racines, Grauzone est une des œuvres les plus puissantes réalisées sur la société du contrôle helvétique. Ce film prophétique – par ailleurs plutôt accueilli froidement en Suisse – préfigure à la fois les mouvements de révolte qui verront le jour à Zurich en 1980 («Züri brännt») et l’affaire des fiches qui éclatera en 1989. Pour Louis Skorecki (qui prête, à l’époque, sa plume aux Cahiers du cinéma), Murer est le plus grand cinéaste suisse avec Jean-Luc Godard. Et Grauzone est, pour lui, «une parabole hyperréaliste, science-fiction ethnologique sur ce qui se passe, aujourd’hui, en Suisse, sur ce qui se passera demain, si on n’y fait pas gaffe, ici, et peut-être même ailleurs».

Six ans plus tard, toujours à Locarno, Murer remonte dans les montagnes uranaises pour signer Höhenfeuer (L’Ame sœur) et tient sa revanche: le film obtient le Léopard d’or et connaît un succès international considérable. Il y a dans cette passion hors du temps, coupée de toute notion de société, dans cette transgression des Lois, une sorte de retour essentiel à la Nature; un amour fou entre ciel et terre, au-dessus des hommes, du côté des dieux. Une tragédie universelle.

Frédéric Maire

Les autres films de la rétrospective

Fredi M. Murer est l’auteur d’une œuvre exigeante qui lui vaut de figurer parmi les grands noms du cinéma suisse. De ses courts métrages expérimentaux des années 1960–1970 (Pazifik, Vision of a Blind Man) à Vitus, en passant par ses portraits d’artistes (Chicorée, Passagen) et le chef-d’œuvre qu’est Höhenfeuer, le cinéaste alémanique aligne les films marquants dans le documentaire (Wir Bergler in den Bergen…, Der grüne Berg) comme dans la fiction (Grauzone, Vollmond) en interrogeant sans relâche la manière dont l’un et l’autre s’entremêlent.