Terreurs expérimentales
Il a, on ne le sait désormais que trop, inventé l'une des grandes figures cinématographiques de la terreur contemporaine, une figure qui aura depuis quarante ans innervé et contaminé la culture industrielle dans ses diverses manifestations (séries télévisées, jeux vidéo, romans populaires, etc.). Le zombie du cinéma de George A. Romero représente la négation de toute une vision romantique de l'inhumain et de la monstruosité qui a longtemps marqué le cinéma d'épouvante. On le sait, tout a commencé en 1968 lorsqu'une poignée d'étudiants de Pittsburgh décide de s'attacher à la réalisation d'un petit film d'horreur en noir et blanc.
Night of the Living Dead jouira longtemps d'un statut ambigu. Le film bouscule, en tout cas, les conventions avec son postulat : pour une raison mystérieuse, les morts se remettent à marcher et deviennent des créatures anthropophages quasi invulnérables, propageant la maladie qui les a ressuscités. (…) La série des « zombies » continuée ensuite avec cinq autres titres : Dawn of the Dead (1978), Day of the Dead (1985), Land of the Dead (2005), Diary of the Dead (2007) et enfin Survival of the Dead (2009), traçant un fil rouge qui traverse l'entière filmographie du cinéaste, sera le terrain propice à une réflexion politique. Car le zombie est l'image d'une humanité renvoyée à une aliénation réduite à une pure pulsion cannibale, un appétit primitif. L'hypermarché, qui sera le théâtre du second film de la série, Dawn of the Dead, symbolisera idéalement l'existence d'individus qui, avant d'être des morts encore vivants étaient, peut-être, des vivants déjà morts. La critique sociale se poursuit dans la désignation de la violence comme qualité profondément américaine, rappelée par ces images récurrentes, comme des pastiches de plans documentaires, de « rednecks » chasseurs de zombies, forme dégradée du « vigilante » de western. Brûlots antiracistes, dénonciations de l'armée (Day of the Dead), des structures sociales inégalitaires (Land of the Dead), d'une société de surveillance totale, celle des réseaux sociaux (Diary of the Dead), caractérisent les titres de cette saga. (…)
Mais la radicalité du cinéma de Romero se situe peut-être ailleurs que dans la simple manipulation des conventions de la terreur cinématographique comme métaphore politique. C'est que l'auteur de Night of the Living Dead est un cinéaste typiquement américain, c'est-à-dire davantage un cinéaste de l'action que du genre horrifique en soi. Il incarne de façon exemplaire le continuateur d'une manière purement hawksienne de faire du cinéma : ses personnages sont souvent définis, avant tout, comme des professionnels (militaires, policiers, scientifiques) et sont tout entier construits par leurs actes, même si ceux-ci ne se limitent plus qu'aux gestes nécessaires à la simple survie, les seuls possibles dans un monde post-catastrophique (…).
Jean-François Rauger, critique de cinéma et directeur de la programmation à la Cinémathèque française.
1 Extrait d’un texte publié dans le programme de la Cinémathèque française (décembre 2017).
Les autres films de l'hommage
Suite à la soirée spéciale du vendredi 9 mars au Capitole (page 21), l’hommage à George A. Romero se poursuivra avec les trois autres volets de la saga des morts-vivants. Réalisé en 1978, Dawn of the Dead adresse une virulente critique de la société de consommation, tandis que Day of the Dead (1985) examine les dangers de la militarisation et de la science. Ultime chapitre de cette hexalogie, Survival of the Dead (2009) clôt l’ère des zombies de Romero en évoquant, sur le ton du western, les ferments d’une guerre civile.