Agnès Varda s’en va glaner au paradis
Agnès V. Un prénom, une consonne. Comme une signature qui la situait immédiatement. Agnès Varda, c’était un visage, une voix, un style, une écriture. Et une présence. Depuis des années, elle nous côtoyait au quotidien, elle accompagnait nos envies de cinéma et en parlait avec une bienveillance remarquable.
Elle était comme ça, Agnès Varda, attentive au détail, constamment émerveillée par la vie. Et toujours active. La dernière fois qu’on a pu la voir, en février, au festival de Berlin, où elle présentait son Varda par Agnès, elle avait comme toujours l’air en grande forme. Inusable, vaillante, prête à repartir sur un nouveau film. Tout en nous rappelant que cette cinéaste, photographe et plasticienne, touche à tout aussi géniale que modeste, avait réussi à capter son époque sans jamais cesser de parler d’elle-même.
Née le 30 mai 1928 en Belgique, elle passe toute son enfance à Sète. Mais c’est à Paris qu’elle étudie la photographie et l’histoire de l’art. Fascinée par l’image, elle exerce comme photographe au TNP (Théâtre National Populaire), tout en essayant de réaliser un premier film avec trois bouts de ficelle. Nous sommes en 1954, et La Pointe courte voit le jour, apportant un vent de liberté sur un cinéma français passéiste et corseté. C’est précisément contre cela que les cinéastes de la Nouvelle vague vont aller. Rien d’étonnant que Varda soit alors considérée comme une des leurs. Sa rencontre en 1958 avec Jacques Demy accélère le mouvement. Grâce à Cléo de 5 à 7, qu’elle réalise en 1961, Agnès Varda est tenue pour une cinéaste de la Nouvelle vague à part entière. Un statut conforté par Le Bonheur (1965), qui traite de l’adultère et fera polémique, et Les Créatures (1966).
A la fin des années 1960, elle ne s’est pas encore frottée véritablement au documentaire, sinon par le biais de courts métrages. Un voyage aux Etats-Unis va changer la donne. De 1968 à 1970, la réalisatrice séjourne à Los Angeles. Elle y signe plusieurs courts métrages et un long, Lions love (and Lies), fiction hippie dans laquelle elle dirige Viva, l’une des égéries d’Andy Warhol. De retour en France, elle s’attelle à la réalisation d’un film féministe qui sera salué, L’Une chante, l’autre pas. Il sort en 1977, et on peut supposer que Varda, encore influencée par son séjour américain, décide d’explorer des pistes inédites, voire de s’orienter dans de nouvelles directions.
Elle repart donc à Los Angeles, où elle va signer coup sur coup un documentaire et une fiction. Tous deux sortent en 1981. Le premier, Mur murs, évoque les « murals », ces gigantesques peintures qui ornent les murs le long des rues de la ville, œuvres éphémères que sa caméra fixe pour l’éternité. Le second, Documenteur, est largement autobio-graphique, et sa démarche commence à se radicaliser. Le film annonce mine de rien les grands documentaires de la dernière partie de sa carrière, ces films où la caméra lui colle à la peau, où elle commente son travail, sa quête, ses obsessions, le tout avec un sens poétique n’appartenant qu’à elle.
Mais avant de s’installer confortablement dans le documentaire, le cinéma de Varda fait encore quelques irruptions remarquées dans la fiction. Ce sera Sans toit ni loi, portrait rude et réaliste d’une sans-abri qu’on retrouve morte dans un fossé. Ce sera ensuite en 1991 Jacquot de Nantes, bel hommage à son compagnon, Jacques Demy, décédé l’année précédente. Curieusement, la cinéaste ne reviendra dès lors plus à la fiction. Mais s’affirmera au contraire dans un genre peu courant, ces documentaires intimistes dans lesquels la voix de la cinéaste sert de guide à une narration a priori erratique.
Un premier chef-d’œuvre surgit en 2000 : Les Glaneurs et la Glaneuse. Le film tient du miracle. Agnès Varda y raconte comment les glaneurs ratissent les champs pour y récolter des restes mangeables. Mais surtout, elle élargit son propos. Evoque toutes les occurrences de glaneurs. Tous les travaux qui suivront le confirmeront : Agnès Varda a trouvé un ton. Dans Les Plages d’Agnès (2008), elle fait son autoportrait, évoque son passé, ses rencontres, ses coups de gueule, revisite son enfance, de sa maison natale aux plages de son adolescence. C’est simple et bouleversant à la fois.
Varda par Agnès, qui a été dévoilé à la Berlinale de 2019, clôt brillam ment une boucle dont elle a dû percevoir l’achèvement.
Le plus triste dans tout ça, c’est que nous ne découvrirons plus jamais d’autres films d’Agnès Varda. Celle qui fut honorée partout s’est tue pour de bon. Nous la regrettons déjà.
Pascal Gavillet (extrait d’un article tiré du 24 heures, 29 mars 2019)
Les longs métrages
Les longs métrages d’Agnès Varda sont des jalons dans l’histoire du cinéma : qu’ils soient précurseurs ou qu’ils accompagnent la Nouvelle Vague (La Pointe courte, Cléo de 5 à 7), ils se jouent toujours des genres et font du réel un terrain d’expérimentation sans fin : fictions-documents (Lions Love (and lies)), fables sociologiques et féministes ou intimes (Sans toit ni loi, Kung-fu master, L’Une chante, l’autre pas), ou vrais documentaires (Daguerréotypes, Mur murs). Seule exception peut-être, l’incursion dans le récit fantastique avec Les Créatures.
Les courts métrages
Les courts métrages d’Agnès Varda embrassent une large période de son travail, de 1958 à 1983. Ils ont sa malice et son exigence agrémentée d’une totale liberté dans la forme, et sont des expressions du regard que Varda pose sur le monde, à la fois tendre et sans concessions. Et le politique, qu’il soit explicite (Black Panthers, Salut les Cubains) ou implicite (L’Opéra-Mouffe, Ulysse), se mêle toujours à l’intime (Oncle Yanco) tandis que l’intime ne cesse de révéler le politique (Réponse de femme – Notre corps, notre sexe).
Toutes les copies de ces courts métrages ont été restaurées et numérisées (sauf pour Ulysse).