Werner Herzog, l’expérience des limites
Il y a, dans la cinématographie de Werner Herzog, autant de récurrences et lignes de force que d’éléments laissant suggérer un éclectisme profond, étroitement lié à une curiosité sans limites. Du cinéma ou de la télévision, des gros ou petits films, du documentaire ou de la (science) fiction, il éprouve toutes les formes, se laissant « pousser » par les films qui s’imposent à lui, même lorsqu’il ne les a pas « invités », assumant depuis ses débuts la production de ses ouvrages pour avoir toute latitude : « J’ai du mal à suivre ces catégories. Tous mes documentaires sont stylisés. Au nom d’une vérité plus profonde, une vérité plus extatique − l’extase de la vérité −, ils contiennent des parties inventées. Il m’arrive donc de dire qu’il s’agit de fictions déguisées. Fictions in disguise »*.
Figure emblématique du Nouveau cinéma allemand d’après-guerre, au côté notamment de Rainer Werner Fassbinder et Volker Schlöndorff, Werner Herzog a réalisé quelque 70 films, tourné sur les cinq continents et été récompensé par un Ours d’argent à la Berlinale en 1968 pour Lebenszeichen, son premier long métrage. Déjà certains motifs s’esquissent, tels le goût du cinéaste pour la folie, associée à la figure de la pérégrination et de la confrontation à des espaces lointains.
Cinéaste à l’approche aussi philosophique que physique, Herzog aspire sans relâche à « marcher jusqu’au bout du monde » (Gasherbrum – Der leuchtende Berg); il aurait voulu voler ou être un athlète, mais s’écartera de son projet après un drame subi par l’un de ses amis. Souvent omniprésent dans ses films, créant par là même une réelle tangibilité de sa personne et de son « personnage » au-delà de la mise en scène, il imprègne souvent les images d’une dimension profondément humoristique devant et derrière la caméra, notamment à travers des commentaires en off et une voix immédiatement reconnaissable.
Entre héroïsme et expériences des limites (tel Herakles, son premier court métrage, ou Die große Ekstase des Bildschnitzers Steiner), mégalo-manie (Aguirre, der Zorn Gottes ou Cobra verde, deux des cinq films tournés avec l’acteur Klaus Kinski), le cinéaste explore les êtres et arpente les lieux pour ne jamais faire demi-tour ; ni lorsqu’il se tient au bord d’un volcan en éruption (La Soufrière – Warten auf eine unausweichliche Katastrophe), ni lorsque le camp de base d’un tournage engageant un millier de personnes a brûlé (Fitzcarraldo). C’est que Werner Herzog, au-delà de son indéfectible vision cinématographique, semble se mouvoir dans un temps « posthumain », ou tout du moins dans un questionnement constant quant à la place de l’Homme dans son environnement. Peut-être son rôle dans la nouvelle série Star Wars, The Mandalorian, apparaîtra-t-il ainsi comme une suite logique…
Emilie Bujès, directrice artistique de Visions du Réel
* Werner Herzog – Manuel de survie, Entretien avec Hervé Aubron et Emmanuel Burdeau, Ed. Capricci, 2008