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Rétrospective Claire Simon

Rétrospective Claire Simon
Cinémathèque suisse

2018. 4. 3. - 2018. 4. 30.

Hommage à Claire Simon (du 3 au 30 avril) – retour sur plusieurs documentaires et fictions de la réalisatrice française, en collaboration avec Visions du Réel
Pourquoi le réel ?

Qu’est-ce qu’ils filment donc les autres qui ne serait pas le réel ?

Des figures, des icônes ? Des choses qu’on connaît et qu’on applique à de nouvelles matières visages formes ?

Nous, ceux qui « filmons le réel » nous sommes toujours sommés de nous expliquer… Est-ce que c’est le rôle plus que l’acteur célèbre qui nous intéresse ? est-ce que c’est le décor plus que le scénario qui nous saisit, est-ce que c’est l’histoire qui est déjà là à la quelle on croit, plutôt que celle qu’on appliquerait comme une crème au réel ? Ce réel que tous les cinéastes filment malgré tout même ceux qui font des dessins animés.

Croire. Voilà il s’agit de croire qu’il y a là l’histoire que je veux raconter dans ce que je suis en train de filmer. Je crois et donc je filme pour voir si c’est vrai, si j’ai raison de croire. De mauvaise humeur et en pleine revendication on peut aligner les formules : les cinéastes de fiction ne croient pas, ils savent.

Filmer le réel c’est filmer la première fois, pour la première fois, c’est l’enfance du cinéma, sa joie et sa jubilation. C’est jouer pour de vrai. Ca ne paie pas. Les spectateurs croient parfois au contraire de moi que ce sont les cinéastes de fiction qui jouent et que les cinéastes du Réel savent, et que les documentaires sont donc pédagogiques…

J’aime ce qui a eu lieu, ce qui a lieu, la vérité de ce qui est et qui est indécidable en soi, qui s’invente qui s’affabule à partir de ce qui est là devant mes yeux, comme un mur contre lequel mon désir se projette et s’anime.

Claire Simon

Le documentaire comme acte liminal

Claire Simon s'est fait remarquer dans le champ du cinéma au début 
des années 1980 avec une poignée de courts métrages, d'emblée révélateurs d'une farouche volonté d'affranchissement du regard, 
devenue avec le temps l'affirmation d'une esthétique récusant la séparation, trop nette pour être pertinente, entre documentaire et fiction, problématisée en une vingtaine de films, en regardant toujours de l’autre côté : « je veux nager au milieu du fleuve [cinéma], même si je n’y ai pas 
pied et que le courant est fort, je me suis jurée d’y rester sans couler ».

Claire Simon filme avant tout des corps en situations, aux prises avec ce qui leur arrive, que ce soit les prémisses de la vie sociale des enfants (Récréations, 1993), le travail en sursis (Coûte que coûte, 1995), ou encore 
leur transformation sous l'empire du désir ou de sa répression, de la panique que cette dernière peut engendrer (Les Bureaux de Dieu, 2008), sans oublier le diptyque Gare du Nord (2013) / Géographie Humaine (2013), expérience-limite où les acteurs professionnels sont plongés, « invisibilisés », dans la masse en fusion d'une gare, métaphore ferroviaire de tous les départs de fiction possibles.

Saisis dans le geste documentaire, les « acteurs » qui se meuvent devant sa caméra sont toujours porteurs d'une part de « fiction manquante », d'une histoire inconnue qui menace de ne pas apparaître tout au long 
du film, mais qu'avec patience, il s'agit de créer, en cadrant, en regardant jusqu'à faire « exsuder » la réalité. C'est un pari risqué que de faire naître devant l'objectif la légende de l'homme ordinaire à partir du contrat 
tacite qui lie la filmeuse à ses personnages et qui consiste à capter le réel, autrement dit de ce qu'ils voudront bien révéler d'eux-mêmes. C'est parce que la réalité est toujours d'une inextricable complexité que le cinéma 
de fiction « pur » et le visage des acteurs professionnels – qui sont comme des « pages blanches » pour la cinéaste – peine à faire autre chose qu'à mimer et styliser – parfois avec talent – donc, défigurer. Et pour Claire Simon, le visage de l'acteur documentaire, parce qu'il ne joue qu'un seul rôle, le sien, a une dimension tragique, au sens où il « est tout aussi absent 
et insaisissable, car on ne le connaît jamais complètement, et son style 
est tellement unique, que je ne sens sa grandeur que parce qu’il fait partie de l’histoire dans laquelle je vis moi aussi, et je n’arrive jamais à sentir vraiment sa résistance à sa propre histoire, car elle émane de lui et non l’inverse comme dans la fiction »1. C'est pour cette raison que Claire Simon filme, qu'elle est toujours, œuvre après œuvre, engagée physiquement 
avec ses acteurs, au cœur de ce qu'elle appelle le « super-présent », par définition inconnaissable, mais pas inapprochable pour peu que l'on veuille bien s'attarder un peu.

 

Emmanuel Chicon, membre du comité 
de sélection de Visions du Réel

1 Extrait d’un texte de Claire Simon, « Les visages de l'acteur : 
documentaire et fiction », paru dans L’Humanité le 6 mai 2006.

Les fictions

Observatrice hors pair du réel et de ses semblables, Claire Simon a exploré la fiction en prenant toujours soin de brouiller la frontière qui la sépare du documentaire. Qu’il s’agisse des attentes d’une famille à l’annonce d’une prétendue grossesse (Sinon, oui), de rencontres fortuites (Gare du Nord), 
de confrontations amoureuses teintées de politique (Ça, c’est vraiment toi), d’une histoire d’amour dévorante (Ça brûle) ou de l’intimité des femmes 
face à leur corps et leur sexualité (Les Bureaux de Dieu), ses longs métrages de fiction remettent continuellement en perspective les mécanismes de représentation et de travestissement de la réalité.

Les documentaires

La découverte du cinéma direct aux Ateliers Varan, prestigieuse école documentaire créée sous l’impulsion de Jean Rouch, a été décisive pour Claire Simon, qui s’est consacrée à enregistrer le réel avec une authenticité déconcertante. Discrète et attentive, elle a suivi la dernière tournée 
d’un médecin de province (Les Patients), la déroute d’une entreprise 
de restauration (Coûte que coûte), les amours à distance de sa fille 
(800 kilomètres de différence – Romance), les trajectoires humaines de la Gare du Nord (Géographie humaine) et du Bois de Vincennes (Le bois dont les rêves sont faits) et les espoirs de cinéastes en devenir (Le Concours).