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Rétrospective Claude Chabrol (1re partie)

Rétrospective Claude Chabrol (1re partie)
Cinémathèque suisse

01/11/2020 - 29/12/2020

A l’occasion des 10 ans de sa disparition, les treize premiers films de Claude Chabrol

Les secrets enfouis

Les origines de l’œuvre d’un auteur ont souvent une source simple: son enfance. Ce n’est pas un hasard si le «Rosebud» du Citizen Kane d’Orson Welles est devenu le symbole de ce mystère. (...) «Un homme n’a pas un seul Rosebud, disait Chabrol, mais une petite dizaine. C’est le seul tort de Welles ne pas avoir osé le dire...» (...).

La vie de Claude Chabrol – ou son déroulement – est donc une source d’inspiration, même si la part d’autobiographie y est nettement plus floue et plus faible que chez un François Truffaut, qui en a fait un matériau permanent, même décalé. Pas d’Antoine Doinel chez Chabrol, mais des Charles, des Paul ou des Louis, qui empruntent une part de sa vie d’homme, de ses angoisses, de ses passions et de ses farces macabres.

 

L’un des plus éminents paradoxes chabroliens est d’ailleurs le suivant: il a besoin de rire de tout, et il ne cesse de composer des personnages ambigus et douloureux. On voit souffrir les insectes chabroliens, livrés aux tortures raffinées de l’entomologiste, prisonniers de leur milieu social, proches de la rupture ou de la mort. Plus ils semblent heureux, plus ils finissent mal. Autant Claude Chabrol se donne l’apparence d’un artiste débonnaire, autant ses films sont cyniques, tranchants, vertigineux, noirs et sanglants. Et cette part sombre envahit de plus en plus la fin de sa filmographie. Pourquoi cette bizarrerie, cette contradiction permanente, du Beau Serge Bellamy? (...)

 

Disons donc que le fils unique d’un petit notable creusois qui a grandi entre les pilules et les fioles de monsieur Homais, qui a connu une mère autoritaire, un père compréhensif et courageux, une grand-mère aimable et bonne vivante et qui est devenu un puits de culture du côté de Sardent, a forgé là-bas, à Sardent, dans le village du Beau Serge, copie du Trémolat du Boucher, sa vision du cinéma en animant son premier ciné-club.

 

Les «Rosebud» seraient donc sa naissance difficile, les maladies infantiles, la guerre, la Résistance, Sardent, les Cahiers du cinéma, les épouses toutes liées au cinéma (Agnès Goute, Stéphane Audran, Aurore Chabrol), plus un zeste de Balzac, de Flaubert et de Simenon. Plus une intelligence et une lucidité hors du commun. Sans oublier les cahiers Clairefontaine qui ont recueilli cinquante scripts ciselés comme du cristal de Bohême, écrits à la sueur d’un front balzacien, enfoui sous les mèches batailleuses de la réflexion.

 

Après quelques années de rires, toute une vie pour ne plus en rire. Pas de quoi en faire une œuvre, dira-t-on? Diantre, si!

 

La Comédie humaine s’offre à Chabrol et il s’en empare. Avec cette volonté rare de vouloir être à la fois heureux dans le quotidien pour mieux parler du malheur dans la création et le cinéma. Un parti pris choisi très tôt et jamais lâché. Sinon, c’était le saut dans le vide, dans le néant, dans la mort, et Chabrol voulait vivre vieux et finir gâteux dans son lit, comme il le dit dans le questionnaire de Proust.

 

Michel Pascal, extrait de l’ouvrage Claude Chabrol (Ed. La Martinière, 2012) qu’il a consacré au cinéaste.