Jerry Lewis, le fou du roi Cinéma
« Make film. Shoot anything. (…) There is no have to. Just do. And show it to somebody. If it is an audience of one, do and show, and then try it again… »1. C’est ainsi que Jerry Lewis, « l’idiot burlesque », pionnier de la comédie et du cinéma, héritier de Chaplin, Stan Laurel et Buster Keaton, s’exprime dans le prologue de son livre The Total Film-Maker.
Fils d’artistes de music-hall, dont la carrière commence sur les planches quand il n’a que 5 ans, Jerry Lewis connaît tôt le succès par le duo comique qu’il forme avec Dean Martin au milieu des années 1940. Le beau gosse séducteur et le crétin gaffeur jouent dans les clubs et à la télévision naissante. Le succès est vite au rendez-vous et le cinéma les exploite jusqu’à épuisement le temps de 16 films, dont les meilleurs (Artists and Models, Hollywood or Bust, entre autres) ont été tournés par Frank Tashlin. Mentor de Lewis, Tashlin devine son talent d’acteur/auteur, l’accompagne ensuite dans sa carrière en solo (Rock-a-Bye Baby, It’$ Only Money, The Disorderly Orderly, etc.) et le fait participer à l’écriture et aux aspects techniques de la réalisation. En 1960, Lewis écrit, réalise, produit et joue dans The Bellboy, film dans lequel il n’y a pas vraiment d’intrigue, où son personnage enchaîne les gags et les mésaventures et ne parle qu’à la fin ! C’est le début de la carrière de Lewis en tant que cinéaste novateur et expérimentateur, qui va pousser à l’extrême les règles traditionnelles de la fiction, jusqu’au paroxysme. Pour The Ladies Man, il fait construire un immense plateau sur deux salles de tournage. Dans ce huis clos, il exploite toutes les possibilités narratives et techniques de temps, d’espace, de son et de couleur, jusqu’à montrer les coulisses du film et le studio qui contient la maison. Ses personnages évoluent aussi et s’affranchissent de l’image du jeune adulte resté enfant lorsqu’il était aux côtés de Dean Martin. Ses héros se libèrent définitivement des conventions, se complexifient et, tout en caricaturant émotions et gestes, symbolisent l’incapacité de s’adapter à la société réelle et créent un malaise chez le spectateur.
Vers la fin des années 1960, après avoir signé plusieurs films pour la Paramount (The Nutty Professor, The Patsy, The Family Jewels), Jerry Lewis ne rencontre plus le même succès, le public semble se fatiguer de son cinéma et, suite à des soucis de santé, ses apparitions et ses œuvres se font plus rares. Le sort du film The Day the Clown Cried, qu’il réalise en 1972 sur un clown dans un camp de concentration, jamais sorti en salles et resté inédit, contribue probablement à endurcir ses personnages, qui laissent désormais entrevoir un aspect plus sombre et mélancolique. En 1983, Martin Scorsese lui offre un rôle à contre-emploi, aux côtés de Robert De Niro, dans The King of Comedy ; tandis qu’Emir Kusturica le fera jouer dans Arizona Dream, film visionnaire et décalé sur le désenchantement du rêve américain.
Jerry Lewis avait résumé sa carrière ainsi : « J'ai eu un grand succès en étant un idiot total ». « Ce fou n'était pas un idiot » a répliqué Jim Carrey à sa disparition.
Chicca Bergonzi
1 « Faites un film. Filmez n’importe quoi. (…) Il n'y a pas de je dois. Simplement je fais. Et montrez-le. Si le public ne compte qu'une personne, faites-le et montrez-le, puis essayez à nouveau… »
Film d'ouverture
Pour ouvrir cette rétrospective de films en hommage à Jerry Lewis, disparu l'an dernier, la Cinémathèque suisse programme, en première suisse, un documentaire réalisé en 2016 par Gregory Monro qui revient à la fois sur sa carrière, mais aussi sur la réception de son œuvre des deux côtés de l’Atlantique.
Il existe très peu de documentaires sur Jerry Lewis, et en Europe, aucun depuis une trentaine d’années. Il est l’un des comiques les plus influents de tous les temps, et en tant que fervent admirateur de son œuvre, il m’est apparu indispensable de lui rendre hommage avec ce film. Le principe n’était pas de mettre à l’écran une pléiade de stars américaines qui encensent l’artiste, mais davantage de prendre du recul, d'essayer d’être plus critique et de tenter de comprendre ce que peut endurer un comique incompris dans son propre pays.
Il est réputé pour être totalement imprévisible dans les interviews. J’étais donc assez anxieux, mais également ravi de le voir en personne. Le principe de l’interview qui était de lui montrer des photos en guise de questions l’a tout de suite séduit, personne ne l’avait jamais interviewé de cette façon auparavant et à 90 ans, il n’a rien perdu de sa répartie. C’est un très beau souvenir pour moi, j’ai beaucoup de chance de l’avoir rencontré.
Gregory Monro
Jerry Lewis, acteur
D’abord sur scène, le duo formé par Jerry Lewis et Dean Martin se poursuit à l’écran avec You’re Never Too Young ou Artists and Models. A la fin des années 1940, ils forment le couple comique le plus populaire des Etats-Unis. Dès 1956, Lewis fait cavalier seul et devient l’interprète idéal du comique très visuel, cartoonesque et à la limite de l’absurde de Frank Tashlin (Rock-a-Bye Baby, It'$ Only Money, The Disorderly Orderly). Plus tard, Lewis démontrera qu’il sait évoluer loin des codes du burlesque (The King of Comedy, Arizona Dream).
Jerry Lewis, réalisateur
A l’instar de Charlie Chaplin ou Buster Keaton, Jerry Lewis a souvent été le protagoniste principal de ses propres films. En 1960, il signe sa première réalisation, The Bellboy, qui rend hommage à Stan Laurel et brise les codes de la comédie américaine. Suit The Ladies Man, où l’utilisation des couleurs, du Cinémascope et du décor unique est totalement avant-gardiste. The Nutty Professor, l’un de ses plus grands succès, est une variation sur le double, l’un de ses thèmes favoris. La mise en abîme, la condition d’artiste et la critique d'Hollywood prendront ensuite une place toujours plus importante.