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Rétrospective Claire Denis

Rétrospective Claire Denis
Cinémathèque suisse

6/4/2020 - 30/4/2020

En collaboration avec Visions du Réel, retour sur la filmographie de la réalisatrice française Claire Denis
En creux

Figure marquante du cinéma contemporain français et international, cinéaste de la «modernité», Claire Denis rentre en France à l’adolescence, après une enfance passée dans plusieurs pays d’Afrique, et découvre enfin le cinéma. Elle réalise des courts métrages et devient assistante-réalisatrice notamment de Jacques Rivette (qui fera plus tard l’objet de l’un de ses documentaires), Dušan Makavejev, Roberto Enrico ou Costa-Gavras. Dans les années 1980, elle travaille avec Wim Wenders sur Paris, Texas puis Der Himmel über Berlin, et Jim Jarmusch – qu’elle rencontre par l’intermédiaire du musicien John Lurie – sur Down by Law. Les expériences aux côtés de ces cinéastes lui confèrent le goût du risque, mais aussi une affection pour les «ellipses audacieuses et les plans-séquences éprouvants» (Claire Denis) – pour jamais ne s’abandonner à la facilité de la coupe. 


En 1988, elle réalise ainsi son premier film, Chocolat (sélectionné au Festival de Cannes et nommé aux Césars). Film autobiographique, ou tout du moins traçant une histoire qui immanquablement évoque la sienne, il représente par ailleurs la première collaboration avec Agnès Godard, rencontrée à La Fémis, qui sera directrice de la photographie de tous ses films. C’est que Claire Denis collabore souvent avec les êtres qui l’inspirent; les acteurs et actrices ne font pas exception et laissent transparaître, en incarnant sans cesse d’autres personnages, quelque chose de plus tangible, que ce soit sur eux ou sur leur rapport à la cinéaste.


Parmi la trentaine de films réalisés, Nénette et Boni se verra récompensé d’un Lion d’argent en 1996 à Venise, le très grand Beau Travail sera présenté à la même Mostra en 1999, tandis que Trouble Every Day, aussi acclamé que controversé, sera projeté en 2001 au Festival de Cannes. Ces deux derniers ouvrages sont particulièrement emblématiques du rôle essentiel du corps dans l’œuvre de Denis. Tels des paysages sensuels qui délicatement rendent compte du rapport (érotique) de la filmeuse et des filmés, de domination ou de soumission, les corps des acteurs et actrices sont déplacés, à l’épreuve du réel, traversés de rythmes (musique), répétitions et désirs. Comme l’écrit Jean-Luc Nancy, qui souvent observe l’œuvre de la réalisatrice tandis que l’un des textes du philosophe a inspiré un film de Denis (L'Intrus): «Le corps donne lieu à l’existence»1.


Claire Denis entretient de façon singulière et délicate un rapport récurrent au réel dans la fiction, ou dans la science-fiction – amorçant avec High Life (2018), un nouveau chapitre de sa démarche. En ménageant l’espace nécessaire aux vides et aux creux pour rendre compte de ce que le jeu ou la mise en scène ne peuvent traduire, dans le rythme du montage, ou dans l’exploration des corps et du désir, la fiction se gonfle d’une matière réelle. A partir d’un fait divers, d’une expérience personnelle ou de la matérialité de ce qu’elle filme, Claire Denis tisse des objets cinématographiques à la fois modernes et aventureux, hésitant joyeusement entre austérité formelle et sensualité euphorique. 


Emilie Bujès, directrice artistique de Visions du Réel